"Oh boucle-la, Ramsdale !"

Ce genre d'article est censé commencer par une anecdote croustillante, non ? Genre, un truc marrant ou un banger. 

Si je me souviens bien, en cours d'anglais, ils disaient qu'il fallait rentrer dans le vif avec une bonne accroche puis dérouler dessus. 


Je pourrais. Mais malheureusement, on va partir sur autre chose.  


Quand je me remémore mon transfert à Arsenal, je n'ai clairement pas la même histoire que les autres gars. 
J'ai entendu certains joueurs dire "C'est fou, Wenger m'a téléphoné" ou encore raconter que certains fans se sont déplacés jusque devant chez eux pour entonner leurs noms. 


Mon histoire à moi ? Honnêtement ? Quand la nouvelle fut sortie, la seule chose dont je me souvienne c'est que la terre entière me voyait comme une grosse m*rde. 


Pourtant, l'histoire avait si bien commencé. 

________


J'avais été appelé en équipe nationale pour le stage de pré-saison juste avant l'Euro. C'était un sentiment incroyable que de faire partie du renouveau de l'équipe durant cet été. Pendant ce stage, mon agent m'a appelé pour me dire que Arsenal avait montré "un certain intérêt" pour moi. 

Qu'on se le dise, ça ne veut absolument rien dire de nos jours. J'ai essayé de ne pas trop m'emballer. 


J'ai dit : "Un certain intérêt, ça veut dire quoi ?"


Il a dit : "J'en sais rien. Juste un certain intérêt.


"Mais ils veulent me signer ?"


"Peut-être. Peut-être pas. Juste ils sont intéressés."


Du coup, le lendemain, j'ai accouru vers Bukayo Saka qui prenait son café. Je ne le connaissais pas particulièrement bien à l'époque. J'ai alors pensé, "Je peux sûrement lui demander, non ?"


Je veux dire, qu'est ce que je suis censé dire ?


"Hey salut, Bukayo. Alors ça se passe ? Hum.. Est-ce que par hasard, t'aurais des infos concernant l'intérêt de ton équipe pour moi ?"

...

RI-DI-CULE.


Du coup, c'est exactement ce que j'ai fait. 


Il m'a dit que l'intérêt était réel, et que le manager l'avait appelé pour se renseigner sur moi, sur mon caractère et comment j'étais en tant que personne. Je suppose que Bukayo lui a dit que j'étais un gars ok, vu que quelques jours plus tard, j'ai reçu un appel de mon agent pour me dire que le transfert allait se faire. 


Incroyable. Le Football Club d'Arsenal. L'un des plus beaux jours de ma vie. 
Mes potes m'ont tous envoyé un sms.
T'es une LégendeT'es une Légende
Ma famille était aux anges.
Que pouvais-je demander de plus ?


En revenant de l'entraînement, j'allais pour prendre mon téléphone et truc de dingue. Genre, archi dingue.
Une centaine de notifications reçues. 
Le petit oiseau bleu vous savez. Ting, ting, ting.

J'étais genre "Qu'est-ce que..?"
Instagram pareil. Ting, ting, ting.

La veille, j'étais à genre 15, 20 notifications max (dont trois venaient de ma mère.)
Ting, ting, ting. 

J'ai alors ouvert Twitter, constaté que la nouvelle avait leaké et, à ma grande surprise, j'étais en train de me faire lyncher


@AaronRamsdale98 NE VIENS SURTOUT PAS, T UNE (ÉMOJI M*RDE).


2 RELÉGATIONS ? HORRIBLE SIGNATURE.


£24 Millions ??? QUELLE ARNAQUE.


Il aurait pu y'avoir un tweet sympa ensuite, du genre :

Bienvenue dans le Nord de Londres Aaron 🙂


Ting, ting, ting.


ARNAQUE, ARNAQUE, ARNAQUE. 


Premier choc à encaisser.
Je me suis dit "Bon ok". 
C'est ma faute, ça m'apprendra à activer mes notifications. 
C'est ça le football moderne. La toxicité des réseaux sociaux. C'est que des trolls, non ? Y'a pas de lézard. 

Je suis donc retourné dans ma chambre et j'ai allumé la télé. 
Regarder du foot, c'est la seule façon que j'ai de me détendre. J'en suis dingue. Demandez à ma femme. 
Je suis le cliché du fan de foot qui joue au foot. Quand je suis en voiture, j'écoute un podcast sur le foot. Si je suis à la maison et que Georgina mate ses séries, je suis avec elle sur le canapé, iPad à la main à chercher n'importe quel match qui passe sur Sky (équivalent de canal+). 

Du coup, je zappe que Sky Sports News. Et vous connaissez, y'a toujours des anciens joueurs et des consultants assis autour d'une table en train de débattre sur un joueur avec sa photo sur l'écran de fond. Et bien sur cet écran de fond, c'était ma tronche. Et en plateau, ça transpirait vraiment pas la joie. 


"Quelle piteuse recrue. Pas du standing d'Arsenal."


"Je n'aime pas ce move. Beaucoup trop cher."


"Deux relégations ? £24 millions ? QUELLE ARNAQUE." 

...

.....

Non, je déconne pour la dernière. 

Mais c'était bien le sentiment général en plateau. Ils n'étaient pas particulièrement fans de moi. 
C'était une expérience assez particulière : 
Voir ces légendes - avec qui vous avez grandit, que vous avez idolâtré - en train de vous jeter en pâture comme une sous m*rde aux yeux du pays tout entier. 

Ça, ça m'a blessé.  

Ça m'a fait chuté de mon petit nuage en rien de temps. 


J'ai éteint la télé. Puis désactivé toutes mes notifications. 


Forte heureusement, après l'Euro, les choses se sont un peu tassées. 
L'excitation grandissait à l'idée de rejoindre le club de mes rêves et débuter cette nouvelle aventure. 

Arsenal. Incroyable. 
Oublions les haters. 
Oublions les railleries. 
C'est jour de fête. 


J'ai rappelé mes potes, les mêmes qui me disaient "T'es une Légende", vous savez ? 
Eux, c'est les bros. Jamais ils me laisseraient tomber, j'ai pas raison ? Jamais ..

Ils m'ont rejoint devant chez moi et la première chose qui est sorti de leurs bouches ...

"Woouuffff, t'as vu ce que les gens disent sur toi ?"

"Non, j'ai pas envie de savoir !"

"Mec, y'a des memes graves drôles sur toi. Mate ça."

...

Mon Dieu.

_______


Vous savez, les gens disent qu'il faut être un peu fou pour être gardien. Mais dans ma famille, je suis le plus "normal" de tous. 

Mon frère aîné Edward est gardien de prison.

Le deuxième est comédien dans le West End (équivalent du quartier des théâtres de la Madeleine à Paris). 

Mon père, lui, il est de la vieille école avec le caractère qui va avec. Il déteste la tournure qu'a pris le foot européen avec cette tendance à voir le gardien jouer plus avec ses pieds qu'avec ses mains. 
Non, non et non. 
Il n'arrête pas de dire qu'il va appeler Monsieur Arteta pour lui dire : DONNEZ LUI LE NUMERO 9 PENDANT QUE VOUS Y ÊTES. 
Ça, c'est mon père. 

Ma mère, elle, c'est l'angoissée de la famille. Si mon frère (celui qui est gardien de prison, vous savez), traîne dehors avec ses potes jusque tard, elle va rester éveillée jusqu'à qu'elle reçoive un message disant qu'il est bien rentré. 
Il a 32 ans. Et il écrit encore : "Oui m'man, chez moi au lit, jtm x."

Je suis le petit dernier, et probablement le moins intéressant de tous. Bien que les gens vous diront que c'était courageux d'avoir fait ce que j'ai fait, poursuivre mon rêve de faire carrière dans le foot. LOL. 

Oliver, c'est lui la Superstar de la famille. Le plus courageux. 
Trois semaines avant de partir pour rejoindre la grande Université de Bedford, il a dit à mes parents qu'il avait eu un déclic. Qu'il ne voulait plus être Professeur d'EPS. 
Qu'il souhaitait poursuivre son vrai rêve, celui de rejoindre une école d'art dramatique pour devenir comédien. 
Du coup, il a littéralement fait ses affaires et est parti à Londres pour changer radicalement de vie. 
Mais ça, ce n'est pas la chose la plus courageuse qu'il ait faite. Ce n'est pas la raison pour laquelle je l'admire autant. 
Mon frère est gay, et il a vécu sa vie de la manière la plus ouverte et la plus authentique possible depuis son adolescence. 
Je suis si fier de dire qu'il est mon frère. 
Je n'en ai jamais parlé avant, mais avec tout ce qui se passe dans le football de nos jours, je trouvais que c'était important de le mentionner. Oliver me ressemble beaucoup, dans pleins d'aspects. Un gars simple. Qui aime le foot. Qui aime jouer au foot avec ses potes. Qui aime les Gunners. 
Il est fier de moi, et moi, je suis fier de lui. 

Durant toutes ces années, j'ai serré les dents bien trop de fois - dans des vestiaires ou sur les réseaux sociaux - lorsque j'entendais des remarques homophobes ou des trucs stupides du genre. Et je pense que ça a été pareil pour mon frère, il a beaucoup pris sur lui en pensant que ça me rendrait la vie plus facile. 


Et bien, ce temps est révolu aujourd'hui.  


Ce n'est pas simple d'être aussi ouvert, d'être aussi intime, mais il n'y a jamais de "bon moment".
Je travaille sur cet écrit depuis le début de l'été, et ma famille m'a donné leur bénédiction. 

Si je dois raconter mon histoire, je veux le faire bien.

Au moment de signer pour Arsenal, j'aurais pu encaisser tout ce qui a pu être dit et écrit à mon sujet.
Mais certains commentaires s'en prenaient directement à ma famille, et ils sont clairement allés trop loin. 

En tant que Gardien, j'ai déjà tout entendu. 
Vous pouvez dire n'importe quoi sur moi, je vais en rire. Je pense même que je le retournerais contre vous. 
Mais quand ça franchit une certaine ligne, avec des propos à caractère homophobes ou haineux, on est clairement dans le faux. 

J'entends déjà les commentaires d'ici.


"Oh boucle-la, Ramsdale. Concentre toi sur le foot plutôt."


Mais ça, c'est du football. Le football concerne tout le monde. Si tu n'es pas d'accord avec ça, peut-être que c'est toi qui devrait la boucler et te regarder dans une glace. 

Et écoute bien, y'en a pleins qui m'ont critiqué sans avoir eu besoin de franchir cette limite. 
Je suis un fan de foot comme n'importe qui. Quand mon club m'a signé, qu'est-ce que tu crois ?
Tu crois que j'étais pas le premier sceptique aussi ?
Jusqu'à Arsenal, ma vie entière a été une longue série de chutes. 

Tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai pu échouer dans ma vie.


Quand j'avais 15 ans, j'ai été renvoyé par Bolton parce que je n'avais pas la carrure. J'étais si frêle qu'on avait l'impression que je portais le kit de mon père. C'est pour dire. 
J'ai tenté d'intégrer les 5 ou 6 clubs des alentours, mais tous m'ont fermé la porte. 

C'était embarrassant. 
C'était d'autant plus embarrassant qu'à l'école, je ne parlais que de foot, et de comment j'allais devenir gardien professionnel. 
J'avais ce super professeur d'anglais, M.Kerr, et il me laissait tout le temps faire le rapprochement entre des leçons quelles qu'elles soient et le football. Il me laissait divaguer sur West Brom ou Chelsea pendant 10 minutes, et d'une manière ou d'une autre, parvenait à retomber sur la leçon du jour. 
Quand j'ai été renvoyé, j'étais anéanti, au fond du trou, parce que le foot avait forgé une grande partie de mon identité scolaire. 
M.Kerr pouvait voir que je ne parlais plus du tout. J'avais tellement honte que j'en avais même pas parlé à mes potes. 


Dans ma tête, c'était la fin du rêve. 


M.Kerr m'a pris à part un jour après les cours et m'a demandé ce qui n'allait pas. Je lui ai tout raconté. Et je me souviens juste qu'il m'a sereinement dit, "Et bien, combien de clubs existent-ils dans ce pays ? Au moins 80 voire plus, non ? Tu en trouveras un. N'abandonne surtout pas. N'abandonne jamais ton rêve."

Quelques semaines plus tard, Sheffield United m'ont laissé intégrer leur académie. J'aurais aimé dire qu'ils m'ont recruté. Mais c'était vraiment "m'ont laissé".

Quatre ans plus tard, j'ai débuté mon premier match professionnel pour Chesterfield. 
Match à l'extérieur au Accrington Staley, en plein mois de janvier. La pelouse ressemblait à une piscine de boue, du moins dans mes souvenirs. Durant la seconde mi-temps, j'ai concédé l'un des pires csc qu'on puisse voir. 
On était mené 3-0, et j'avais l'entièreté du public qui me chantait "C'est de ta faute ! C'est de ta faute ! C'est de ta faute !"

Vous vous faites tout petit à ce moment là. Je me souviens m'être retourné vers le public, et en League Two (équivalent du National 2), le public est tellement proche de vous que vous pouvez regarder quelqu'un droit dans les yeux. 

C'était presque gênant de ne rien rétorquer vu leur proximité avec moi. Je me souvient m'être alors dit "Tu sais quoi ? Si t'étais en tribune avec tes potes et quelques bières dans l'estomac, t'aurais adoré ça."

Du coup, le match extérieur suivant, je ne sais pas ce qu'il m'a pris, mais quand les fans ont commencé à me chambrer, je me suis retourné, j'en ai choisi un au hasard, et j'ai commencé à le saluer avec un sourire narquois. 

L'ensemble du groupe s'est tourné vers le bonhomme et a commencé à éclater de rire. 

Ça a été une libération, un vraie poids en moins sur les épaules. 

Durant tout le match, à chaque temps mort, je me retournais pour faire une petite vanne. Si j'en avais une bonne, la tribune entière éclatait de rire. Si c'était un bide, j'en prenais pour mon grade. Ça peut paraître ridicule dit comme ça, mais c'était ma manière à moi de faire retomber la pression.

Quand vous êtes relégué en League Two ou même en Championship (équivalent à la Ligue 2), vous êtes responsables de la vie des gens. Quand nous avons été relégués avec Chesterfield, je me souviens de certains membres du staff qui quittaient les locaux - juste après le dernier match - avec leurs affaires dans des cartons. Je pensais que ça n'arrivait que dans les films. Je me souviens m'être dit : Les assistants, les secrétaires, les agents d'entretien, les membres de la billetterie ... Ils se retrouvent sans emplois à cause de ce qui s'était passé sur le terrain. 


C'est ça, la dure réalité de la vie. 


C'était une leçon de vie qui a été extrêmement difficile à accepter, et que je ne cesse d'apprendre continuellement, malheureusement. Mes quatres premières années dans le monde professionnel, j'ai terminé 24ème, 20ème, 18ème, et 20ème. Jusqu'à la course au titre l'année dernière, je n'avais encore jamais concouru pour un trophée de cet ampleur pour un club. 

Peut-être faut-il que les jeunes de nos jours gardent cela en tête, au lieu d'écouter ceux qui diront que la perfection est le seul chemin pour atteindre leurs rêves.  

Tant que les bonnes personnes croiront en vous, et qu'ils verront à quel point vous êtes un bosseur et ce que vous pouvez apporter à l'équipe, vous n'avez que faire de ce que les haters diront. 
Mikel Arteta a vu en moi quelque chose de spécial, et c'est tout ce qui compte pour moi. 
Je me souviens de notre première rencontre, il m'a simplement dit, "Sois juste toi même."

Certains diront qu'on forme un drôle de duo, parce que lui est tellement habité qu'il peut parfois paraître trop sérieux. Et moi, je suis le gars qui aime faire des blagues. Mais pour une raison inconnue, ça fonctionne. 

Je me rappelle qu'il attendait de moi que je joue beaucoup plus haut sur le terrain, et de manière plus agressive. Du coup, tous les jours en entraînement, je jouais plus haut et plus agressif. 


Et il me disait, "Non, non, plus haut."


Tous les jours, toujours plus haut. 


"Oui, oui. Non, plus haut."


Je me disais : P*tain de m*rde, comment ça plus haut ? Je suis pratiquement au rond central ..!


Mais c'était brillant, en fin de compte.
Parce qu'il m'a permis d'affronter ce sentiment d'insécurité, celui qu'on ressent quand on est exposé en jouant trop agressif.

Il m'a montré 10, 20 fois une multitude d'exemples d'équipes qui jouaient de la manière dont il souhaitait voir l'équipe évoluer. Parfois, je me disais, "P*tain, Boss, on est train de regarder une équipe vintage de Barcelone. Vous êtes sûr qu'on peut en tirer quelque chose ?"

Mais à la fin, on a réussi à trouver un juste milieu où je me sentais bien, où j'étais serein balle au pied, et les résultats parlent d'eux même. 


Je n'oublierai jamais ma première titularisation pour un match de League Cup, à l'extérieur contre West Brom, un mercredi soir.
Nos fans étaient parqués dans le coin du stade plein d'entrain. Je me disais, "Mon Dieu, j'espère qu'ils ne vont pas me huer."

Durant les cinq premières minutes du match, j'avais à peine touché le ballon, je n'avais même pas fait un seul arrêt. Et il chantait déjà tous mon nom. 

J'ai eu des frissons. 

J'ai jeté un regard vers cette foule, juste pour apprécié l'instant. J'ai réalisé à ce moment là : 
Ce sont eux les vrais fans. Capable de faire le déplacement jusqu'à West Brom un mercredi soir. 
Ok, il y'a encore quelques idiots sur internet qui racontent de la m*rde. Mais qu'est-ce qu'on s'en fout ? Les vrais seront toujours derrière toi. 


C'est à ce moment là que je me suis senti à la maison. 

___________


Ces deux premières saisons dans le Nord de Londres ont été incroyables, quoi qu'on en dise. Bien sûr, nous n'avons pas atteint notre but ultime la saison dernière, et on en ressent encore l'amertume. Mais quand je pense aux progrès réalisés, j'en suis extrêmement fier. Si je devais juger en simple fan de foot que je suis, et ce, de manière objective, la qualité des gars qui constituent ce groupe est excellente. 

Je n'oublierai jamais ce moment durant la saison 2021-2022, quand on a loupé de peu le top 4. C'est à ce moment là que j'ai su qu'on était sur la bonne voie. 
J'étais assis dans le bus, à côté de Bukayo, juste après le match face à Newcastle où on a perdu 2-0. Tout le monde était dévasté, mais les jeunes de l'académie tels que Bukayo et Emile, eux, ont une pression encore plus forte sur leurs épaules. Après le match, ils gisaient à terre dans le vestiaire. 
Quand le bus est arrivé, Bukayo était silencieux. Généralement, on a toujours un truc à se raconter, même après une défaite. Mais là, c'était juste un silence de mort. Du coup, je lui ai envoyé un message, alors même qu'il était juste à côté, lui demandant si il était OK et si il voulait en parler. 

On a eu un échange de cinq petites minutes, et je garderais la majorité de ce qui a été dit entre nous. Mais j'ai essayé de lui expliquer le nombre de fois où j'ai eu l'impression d'avoir abandonné l'équipe pendant le match, et à quel point il devrait être fier d'avoir su porter cette équipe de la 8ème à la 5ème place, surtout après les abus dont il a dû faire face à la fin de l'Euro.

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Le meilleur classement que j'avais fait auparavant, c'était 18ème. 

Vous apprenez beaucoup plus des échecs que des moments où tout va pour le mieux et que la terre entière vous lèche le c*l. 

Oui, on a été un peu court pour rafler ce titre, mais on est passé de la 8ème à la 5ème à la 2ème place, et j'aime l'atmosphère qui se dégage autour du club. C'est une période fantastique pour être un Gunner. Et juste à titre personnel, je dois remercier mes coéquipiers, mon manager, l'ensemble du staff, et tous les supporters pour m'avoir épaulé durant toute la saison. 


Parce que c'est que les choses sérieuses commencent, je le crains. 


Il y'a des choses qui se passent dans nos vie, que le grand public ne peut soupçonner, et l'année dernière, ça a été les montagnes russes émotionnellement parlant pour ma famille et moi même. Après avoir atteint le sommet de Premier League et au sortir de ma première Coupe de Monde, ma femme et moi avons appris que nous attendions notre premier enfant. Mikel m'a donné quelques jours de plus après la Coupe du Monde, et on en a profité pour partir en vacances. 
Ce devait être la période le plus heureuse de nos vie. Oui, ce devait ... 
Il n'y a pas de bonne façon de le dire, mais j'estime que les gens doivent savoir ....


Sur le chemin du retour, dans l'avion, ma femme a fait une fausse couche. 


Il n'y aucun moyen pour moi de décrire la peine immense qu'ont été ces six heures d'avion pour rentrer à Londres, même encore maintenant. 
Je veux juste dire aux gens qui traversent ces moments qu'ils ne sont pas seuls. 
Quand nous sommes rentrés, j'ai dit à très peu de gens ce qui s'était passé. Seulement à ma famille, mes coéquipiers, et bien sûr Mikel. Il a été fantastique en tout point. Même en plein milieu d'une course au titre, avec la pression folle qui entourait le club, il m'a demandé si j'avais besoin de temps pour digérer la situation. Mikel a remué ciel et terre pour s'assurer que ma famille et moi-même nous ne manquions de rien. 


Pour moi, ÇA, c'est un manager. 


On est pas toujours d'accord sur tout. On a parfois eu des conversations mouvementées en parlant football. Mais Mikel prend tellement soins de ses joueurs. Il a su gérer cette situation, ce chagrin qu'on a traversé, d'une manière telle qu'il a tout mon respect, et ce, pour toujours. 

Trois jours plus tard, nous jouions le derby contre les Spurs. Pour moi, c'était la seule façon que j'avais de ne pas me morfondre. Le football a toujours été mon échappatoire. 
J'ai dit au manager que je voulais jouer. La soirée n'aurait pas pu être aussi belle. On a gagné 2-0 sous la lumière des projecteurs, et nos supporters, même à l'extérieur, ont fait un bruit de dingue. Si vous re-visionnez le match, vous pourrez me voir le sourire aux lèvres à la dernière remise en jeu. Je suis parti chercher ma bouteille derrière la cage, et à ce moment là, jamais, à des années lumières, je n'aurais pu imaginer me faire bousculer dans le dos par un fan de Tottenham. 

J'ai eu des échanges taquins avec des supporters d'autres clubs durant ma carrière. On m'a insulté de tous les noms, comme vous pouvez l'imaginer. Mais ça n'a jamais dépassé les limites comme ça a été le cas. Je me souviens quand je suis retourné dans le vestiaire, je ne pouvais même pas célébrer vu que j'ai été alpagué pour faire ma déposition auprès de la police. 

Vous savez, je me sens presque mal pour le type qui a fait ça, parce que je me suis dit : Si il me connaissait en tant que personne, et savait ce que j'étais en train de traverser à ce moment là, il est impossible pour moi de penser qu'il aurait fait ce qu'il a fait. Si on était amené à se rencontrer un jour et discuter football, on pourrait probablement être potes. 


Ça, c'est la partie qui m'a poussé à écrire cette lettre et vous partagez l'histoire de ma famille et moi pour la première fois. Ces dernières années, nous sommes témoins de plus en plus d'animosité et de toxicité dans le football. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou en tribunes, on a l'impression que les gens ne savent plus faire la part des choses. 


En publiant cet article, aussi triste que cela soit-il, je sais que je vais recevoir des messages concernant ma femme et mon frère. D'autres joueurs ont reçu tellement pires, surtout mes coéquipiers noirs. 

Pour je ne sais quelles raisons, les entreprises qui gèrent ces réseaux sociaux ne semblent pas porter un quelconque intérêt à endiguer ce fléau. 


Après, pour moi, écrire cet article, ce n'est pas pour stopper ce fléau. 

Ce n'est pas non plus une tribune à l'encontre des trollers, je sais que je ne peux pas les atteindre. 


Pour moi, c'est avant tout pour me dresser pour ce qui me semble être juste. 

Cet article, c'est que j'aspire à être en tant que personne et en tant que père. 


Cet été, Georgina et moi avons reçu le plus beau cadeau que nous puissions espérer. Nous avons appris que nous allions être parents de nouveau. On a un petit Gunner en chemin, et on est aux anges. 

Quand vous savez que vous allez être père, ça vous fait réfléchir sur l'avenir. 
Quel genre d'homme vous souhaitez être.
Quel exemple vous souhaitez donner. 

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Pour moi, je rêve bien sûr de gagner la Premier League et de parader avec le trophée dans les rues du Nord de Londres, ça c'est sûr. Coupe du Monde. Ligue des Champions. J'ai tous ces rêves, mais eux, ce sont des rêves de footeux. 


En tant que personne, j'ai un autre rêve. 


J'aimerai que ce sport que j'aime tant soit un endroit de paix et de bienveillance pour n'importe qui. 

J'aimerai que mon frère, Ollie - ou qui que ce soit qu'importe l'orientation sexuelle, la religion, ou l'ethnie - puissent venir assister à un match sans avoir peur d'être stigmatisé, harcelé ou raillé.


Et quand nous soulèverons un trophée à l'Emirates Stadium, j'aimerais que mon frère soit présent, à mes côtés. 


Qu'est ce que les trollers trouveront à dire sur nous à ce moment là ? 


Rien. Absolument rien. 


Je t'aime frangin.


Aaron

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